La consistance est, depuis toujours, une composante essentielle à toute oeuvre qui se veut performative, c’est-à-dire, qui agit et provoque de l’émotion chez l'individu. Sur un autre terrain que la littérature, à savoir l’invention de toute expérience, la consistance est essentielle. Elle assure une cohérence de construction et une solidité architecturale. Elle sert, en ce sens, de soubassement à toute oeuvre qui arrive à la perfection. La perfection, dans le sens d'un chef d’oeuvre : une oeuvre dans laquelle rien ne peut  être ajouté ou retiré.
 
Au point de vue de l’expérience dite utilisateur, la consistance sert de guide à l’utilisateur dans son interaction aux objets. La consistance est une présupposition. L’utilisateur n’a pas besoin de deviner. Si l’on demande à un utilisateur de fermer une porte, celui-ci suppose que la porte est ouverte. L’action de fermer est intuitive, puisqu’il suffit de pousser la porte jusqu’à la butée de fermeture complète. Lorsqu'il y a un interrupteur va-et-vient, l’utilisateur présuppose que l’une et l’autre de l’action éteint et allume.
 
Cette présupposition permanente crée une habitude, qui devient une routine, puis une seconde nature. Cette seconde nature neutralise à son tour toute fraîcheur de nouveauté. La perfection s’évanouit alors dans une sorte de répétition, qui ne parvient pas à la réinventer. L’oeuvre d’art devient un objet d’art. Dans cette transformation, la perfection ne se voit plus. Elle ne se ressent plus. L’oeuvre a atteint sa réalisation maximale. Elle touche le plafond du sublime, qui est l’état de la permanence, de la stabilité et de la fixité. C’est l’état de toute chose qui végète et côtoie le chaos de ce qui ne change plus. Le chaos de ce qui ne peut plus être augmenté.
 
Cet état de perfection, qui n’autorise donc plus rien, autant que l’habitude, comme le dit Aristote, ne peut être améliorée, produit de l’ennui par l’absence de renouvellement.  L’oeuvre qui, à sa date de production, fascinait par sa nouveauté et sa beauté est devenue un objet usé par notre regard. L’objet fatigue par sa familiarité excessive. Par sa capacité à nous enchaîner à lui, à nous aliéner au point d’y laisser toute notre imagination.
 
Or, c’est la perte de toute imagination qui nourrit l’ennui. L’ennui comme absence de toute nouvelle impression. L’ennui comme effet du « toujours la même chose ». L’ennui généré par l’habitude, qui épuise toutes les émotions. C’est un état de satiété engendré par la perfection elle-même. Lorsque, dans sa nature, rien ne manque à une oeuvre, il est certain alors que cette oeuvre finira toujours par ennuyer. Par sa monotonie, car l’œuvre n’affole plus, ne surprend plus. Par sa simplicité,  si elle ne connaît ni altération, ni brisure, ni variété.  
 
Il faut donc que toute oeuvre ne soit jamais parfaite, c’est-à-dire complètement achevée. Pour laisser à l’homme la manie de l’activité, le bonheur du mouvement motivé, la joie du recommencement qui n’atteint ni sa forme ni son expression maximales.
 
Dans l’Art poétique, Boileau écrit :
 
« Voulez-vous du public mériter les amours ?
Sans cesse en écrivant variez vos discours. »
 
Et Antoine Houdart de Lamothe écrit dans sa fable « Les amis trop d’accord »:
 
« C'est un grand agrément que la diversité.
Nous sommes bien comme nous sommes.
Donnez le même esprit aux hommes,
Vous ôtez tout le sel de la société.
L'ennui naquit un jour de l'uniformité. »